dimanche 14 janvier 2007

Pourquoi aime-t-on les chats

Nous tous croyons nous souvenir le conte du Matou Botté. Ou celle des chats aristocrates. Des fois, devant la télé, on déplore la triste destinée que Bill Hannah et Joe Barbera ont réservée à Tom, ou – bien au contraire – on convoite la fortune que Jim Davis a destinée à Garfield. Lorsque nous sommes à Venise, en nous promenant accompagnés de notre bien-aimée ou d’une complaisante tristesse et qu’un chat apparaît de l’obscurité en miaulant à cause de la faim, nous nous pelotonnons afin de le caresser sous le menton (à tort, car les chats aiment être caressés surtout sur la nuque, parce qu’ils se sentent ainsi protégés, se souvenant les moments où leur maman les attrapait au moyen de ses dents par la peau de la nuque et les portait ci et là sans aucun but apparent). En quatre mots, on aime les chats.


Qu’on aime les chats, ce n’est point étonnant. Enfin, ce n’est pas plus étonnant que, disons, l’ébahissement que Leibniz a cristallisé dans la fameuse question « Pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ? », quoi. Mais quelle serait l’image de cette étude et le sens de notre vie en général si l’on se décidait à s’étonner, en usant de cette faculté de notre âme qui – nous disent Platon et Aristote – a fait possible la philosophie ? En l’occurrence, en philosophant – en remplaçant donc la question au sujet de l’être par la question des chats – la question fondamentale de notre recherche sera : « pourquoi aime-t-on les chats ? ».
En disant « pourquoi », je n’ai pas en vue des causes ou des buts. Selon toute évidence, la question relative aux chats a été formulée de façon fautive. Ce que je voudrais vraiment atteindre au bout de cette investigation, c’est la réponse à la question « Quelle est la raison nécessaire et suffisante pour laquelle on aime les chats ? ».
Nous aimons les chats peut-être, parce qu’ils sont duveteux ? Mais il y a beaucoup de choses duveteuses que nous n’aimons pas. La ouate, par exemple. Ou les brebis. Du surcroît, il y a des chats qui ne sont pas duveteux : les uns ont la fourrure âpre, les autres sont complètement démunis de pelage et ceux qui restent ne sont tout court – ou bien ils aiment à se réduire à un souris.
Nous aimons les chats, peut-être, parce qu’ils ronronnent ? Mais les tigres, ils ronronnent aussi. Et nous n’aimons les tigres, à cause de leurs gueules puants. Le petit moteur d’un épilatoire ronronne aussi ; et nous le haïssons.
De ces questions futiles, on peut tirer une conclusion : si l’on aime les chats, on ne les aime pas pour quelque trait qui serait le leur (le chat en soi), mais parce que cet amour est dérivé d’un composant fondamental de notre structure intime (le chat pour soi).
Je pourrais être très enclin à croire que nous aimons les chats parce que nous nous sentons coupables. La coulpe est un sentiment désagréable. Elle est due au péché originaire. Le péché originaire, selon les Ecritures et selon le protéique Kierkegaard, est le savoir. Sachant ce que nous savons, nous nous sentons coupables ; de la coulpe à l’amour, il ne reste qu’un pas à franchir. En revenant à nos moutons, à savoir à nos chats, essayons d’opérationnaliser ces concepts abstraits. Qu’est ce que nous savons au sujet de nous-mêmes en rapport avec les chats ? Nous savons que, durant plusieurs siècles, nous avons cru que le chat était l’incarnation et l’emblème du diable. Et que, pendant ces siècles-là, nous avons plus d’une fois brûlé sur le bûcher des centaines de chats (qui sont morts non pas brûlés, comme l’on croît habituellement et faussement, mais suffoqués, de même que Jeanne d’Arc, Giordano Bruno ou Jan Hus). Sachant tout ça, nous nous sentons coupables. Nous sentant coupables, nous voulons leur offrir des dommages – intérêts, en les abritant dans des paniers nattés à la main et en leur achetant de la nourriture cuite et mise en boîte par des gens qui sont plus pauvres que nous.
Il existe cependant des arguments très forts qui vont à l’encontre de cette thèse. Les sorcières, par exemple, ont subi le même type de traitement que les chats ; néanmoins, personne ne les caresse sous le menton et ne leur achète des souris en caoutchouc. Ou, toujours par exemple, les hérétiques, et surtout les cathares. Qui plus est, si on garde la lignée kierkegaardienne d’argumentation, les amours sont presque toujours tragiques, ce qui ne se vérifie point pour ce qui est de nos idylles occasionnelles ou permanentes avec un chat ou l’autre.
A ce moment de notre recherche il serait nécessaire – comme le dirait le second Wittgenstein – d’essayer de regarder les choses de plus près sous un nouveau jour.
Imaginons – car nous n’avons pas mal à la main – qu’il y avait un chat qui parlait. Nommons-le « Lechat ». Lechat a un caractère gai. Il sait que faire pour ronronner. Il s’insinue sous nos vêtements lorsque nous sommes en train d’écrire ou de coudre. En somme, il a les plus plaisantes qualités imaginables. En outre, il parle. Et non seulement qu’il parle, mais il est aussi très astucieux, en sorte qu’il ait toujours à l’appui une phrase qui nous fasse rougir devant les copains. Si telles étaient les circonstances, aimerions-nous toujours Lechat ? Disons que si. Si c’est le cas, nous ne sommes que des masochistes. Mais le masochisme est tel qu’il est parce qu’il possède un substantiel côté érotique. Socher-Masoche – bornons –nous à n’évoquer que l’éponyme – aimait être châtié par sa petite mère précisément parce qu’il était attiré par ses seins et par elle en général. Or il est difficile à supposer qu’un individu moyen soit érotiquement attiré par Lechat. Toutefois, nous pouvons imaginer un autre scénario. Notre copine est sadique, nous, nous sommes des masos, et notre jeu favori est que nous soyons humiliés par Lechat. Conjoncture dans laquelle nous aimons Lechat.
Nonobstant, dans la plupart des cas, Lechat ne serait aimé par qui que ce soit. Pourquoi ? Selon la démonstration qu’on vient de poursuivre, à l’exception de la triade sadique – maso – Lechat, Lechat ne serait aimé justement parce qu’il parle. Par voie de conséquence, la raison pour laquelle nous aimons les chats est nommément que les chats ne possèdent pas notre langage. Et il leur serait impossible de le posséder, vu qu’ils ont une histoire naturelle différente de la nôtre – comme le suggérait le même Wittgenstein à l’égard des lions.
La valeur heuristique de cette découverte n’est pas à dédaigner. Sous la lumière qu’elle jette sur nous, nous comprenons enfin pourquoi nous n’aimons pas les autres représentants de l’espèce humaine.

2 commentaires :

  1. Anonyme a dit…

    Mais pourquoi ne peux-je commenter?????

  2. Anonyme a dit…

    Ah, je le peux, je m'excuse.