Une révolution 3
§c. Ce 1848 va perdre un jour un pauvre scandinave, Cunt Hamsun (1) et, pareillement, il va terroriser dix mille enfants, qui devront apprendre (2) comment nous sommes justes et bons et comment nous avons brûlé l’Annuaire des boyards (3) et les dérèglements (4) d’ordre intérieur et surtout quelle grande victoire nous avons obtenue à Dealu Spirii (5), mais, tiens, nous étions une poignée d’hommes, nous y étions allés à négocier avec les Têtes de Turcs de la garnison et Gheorghe-al Stanii (6) s’est fait shooter une pierre (7) et, suite au choc, son fusil s’est défoulé – ledit fusil ayant pris part à la révolution française de 1792, celle portée au-delà des bornes – et les Turcs ont cru que nous avions l’intention de les attaquer, mais comment diable, car nous étions 50 et eux autres, ils étaient 2000, mais ce même satané, à savoir Gheorghe-al Stanii (8), a bondi de sa place et a commencé à les canonner (le con avait trouvé un canon à affût (8)) et les compères le regardaient l’air hébété et ricanaient comme des sots qu’ils l’étaient et puis ils se mirent à chanter
Gheorghe nebunu
Trage cu tunu
Si impusca ratele
Si mananca matele (10)
et les crétins ne savaient point que cet idiot-là ne faisait rien d’autre que déclarer la guerre à la Haute Porte, l’Empire de l’Univers (11).
[Chez Marcel PROUST, Sorbonne et Gomorhée, Paris, Editions Subjectives, Collection « Pléonasthme », 1926, p. 129 sq.]
1. Cunt HAMSUN, Sult,
2. Notre Saint, comme plusieurs d’autres, était capable de prophétiser. En ce sens, voir Isaac DANIELS, Prophètes, prophétesses et prophétides, trad. Jacques de Vin, Paris – Delphes, Editions E, 1922. Voir aussi, si vous voulez bien, Mijomir IVANOVICI, « Enquête sur la fête des prophètes : la bête qui guète dans le Théétète », R.E.M., II, 1978, pp. 151-186.
3. Plusieurs raisons pertinentes ont poussé R. McLaughlin (« Who’s who », introduction à What, When, Where, Why. A Handbook of the Inquisitorial Inquiry,
4. Mot attesté à maintes reprises, presque chaque fois à une connotation négative. La juxtaposition « dérèglements – ordre » produit un oxymoron.
5. Non-lieu de mémoire de Bucarest, siège d’une populeuse assemblée populaire ; en traduction littérale, « la cime de la spirale ». Le nom, me semble-t-il, met en valeur la conception hégélienne de l’histoire.
6. Georges, fils de Stana. Notons que la Prosopographie de WILAMOWITZ n’en dit rien. C’est pour ça que plusieurs exégètes symbolistes, dont spécialement Charlus Bodleanus et Stephanus Mal Armé de Byzance – théoriciens de la similitude heuristique et de l’allégorrhée – ont soutenu que le personnage en question est en effet « Georges, fils de Satan ». Leurs arguments sont : (i) le texte même dit « ce satané » ; (ii) Satan est souvent figuré comme un dragon à sept têtes, crachant du feu et pouffant du souffre ; or, quant il est ainsi figuré, il est toujours associé à Saint Georges ; (iii) voir la note I, 21c, 7.
7. XXX, dans Si j’étais un drogué, Paris, P.U.F., 1976, p. 312, écrit : « - Comment se faire shooter une pierre ? – On la lave. On la râpe par une râpe fine, en sorte qu’il en résulte une poussière fine. Ensuite on applique le même processus technologique que nous avons décrit lorsque nous avons parlé de Marianne et des autres héroïnes. »
8. Voir supra, la note I, 21c, 6, argument (i).
9. Terme militaire. Umberto ECHO (Le pendule de Florence, Paris, Garce et Flasquelle, 1990, p. 135) estime que la parenthèse toute entière est une interpolation, ou, dans le meilleur des cas, le syntagme « canon à affût » est l’œuvre d’une main tardive, qui ne comprenait plus le sens de l’expression « le feu grégeois ». En l’occurrence, le Saint aurait été un Templier, maître de la technique du feu byzantin et attesté en cette qualité chez Jean de JOINVILLE, L’histoire de Saint Mijomir. Mais, disons-le à la soldate, le Saint ne rien à affûtre avec les Templiers. S’il l’a eu avec quelqu’un, c’est peut-être avec les Clarisses et avec l’ordre de Saint Benoît (la tradition veut qu’il y ait eu une correspondance entre les deux figures angéliques).
10. Des vers mystérieux, attestés pour la première fois au XVIIIe siècle (Du MARSAIS, Des tropes, Paris, 1776, p. 872), mais jamais traduits jusqu’à présent. En voici deux traductions, l’une littérale et l’autre littéraire : « Georges le fou / tire le canon / et fusille les canards / et en mange les boyaux » et « Georges le dément / fait le bombardement / des canards occit / en mange la triperie ».
11. Apparemment, il s’agit de l’empire des têtes de Turcs, car l’empire du ciel sera le leur, cf. Jack KEROUAC, Les clochards célestes, Paris, Editions Croisées, 1954.