lundi 26 mars 2007

Une profession de foi

18. Car, pour t’opposer à cette cul-ture croupie, il faut la connaître, il faut que tu aies envie de dégueuler même au souvenir des marasmes qu’elle exhale et d’où ton nez est indélogeable, ah, par Dionysos Limnaios[1] et par Artémis Lochia[2], j’ai la nausée, je porte tellement d’idées, j’en accouche dix mille à la fois, je vis une dépression perpétuelle, j’en ai assez de laver la layette et de remplir mon stylographe, et que le diable t’emporte, tais-toi, sale connard.

Ouais, Messieurs dames, c’est un échantillon de dégobillage intellectuel dont ceux-ci, les réactionnaires, se demanderont ‘comment diantre l’interpréterions-nous ?’. Au surcroît, certains exégètes – vieux, sérieux et surtout freudiens – diront qu’il existe il se trouve il y a en moi une homosexualité latente. Mais cette mienne pédérastie serait – dira-t-on – d’une espèce parti cul y erre, car, toujours en moi, la double féminine (Anima, de son nom) serait très vive (selon d’autres exégètes, non moins vieux, sérieux et surtout jungiens), d’où l’attraction pour ma sœur Zivana, qui, diront les autres , ne serait qu’un substitut de ma mère, avec qui, par ailleurs, j’ai longtemps partagé le lit maternel et, par Hécate[3], je ne sais pas comment ces braves gens se débrouilleront dans cette broussaille psycho et surtout textuelle. Ils estimeront peut-être que je suis un « ange en filigrane »[4].

Tais-toi, sale connard. Auto ironie. Le message du passage est fort sage. Tout d’abord, le mot tranché en deux tranches, « cul-ture », veut dire que la culture nous rend schizophrènes. En deuxième lieu, les deux divinités invoquées sont l’incarnation de l’Autre, qui demeure au juste milieu du Même. Le message du passage se trouve donc renforcé. Enfin, pour illustrer cette schizophrénie, l’auteur commence à s’adresser des insultes.

Parti cul y erre. Lectio incerta. Particulière ?

Broussaille psycho et surtout textuelle. Yan LE PICHON[5] propose la leçon « sexuelle ». Celui-ci, tout comme Apollinaire, ne sait pas que, lorsqu’il s’agit de notre Saint, le texte n’a pas de sexe.

Ange en filigrane. Notons une autre occurrence du mot « ange ».

Le fragment. M. GUYEAU[6] a produit un long et très idiot commentaire de ce passage sous le titre « l’art des décadents ». Il n’a rien compris de l’ironie du fragment.



[1] Voir Henri JEANMAIRE, Dionysos. Histoire du culte de Bacchus, Paris, Payot, 1970, p. 44 et passim.

[2] Voir Jean-Pierre VERNANT, La mort dans les yeux2, Paris, Hachette, 1990, p. 22.

[3] Voir Hésiode, Théogonie, 411-452 ; H.H.Dém., 24 ; Eschyle, Suppl., 676 ; Aristophane, Guêpes, 804 ; Apollonius de Rhodes, Argonautiques, III, 50 ; 478 ; 1034 ; IV, 245 ; 1018 ; et surtout Lucien, Dialogues des morts, I, 1 et Nécyomancie, 20.

[4] Chez Henri LAVEDAN, de l’Académie Française, Leurs sœurs, Paris, Librairie Académique, 1924, p. 16.

[5] L’érotisme de Chers Maîtres, Paris, Librairie Crébillon, 1987, p. 98.

[6] L’art au point de vue sociologique, Paris, Félix Alcan, 1901, pp. 342 sqq.