mercredi 21 mars 2007

Le commencement du Livre

1. J’ai ouvert les yeux et j’ai dit

- What the fffffff. . .,

c’était la radio et je et n’ai trouvé rien à faire que de jouir comme un sot pour la seule raison qu’il était 9 heures, mais j’ai reprit mon esprit et je me suis rendormi. Et j’ai gési une autre heure, mais à 10 heures tapantes j’ai juré et couru vers le lieu d’aisance ; j’y ai pissé aisément et longuement, le closet exhalait des vapeurs et il s’y était formée une épaisseécume rappelant la mousse d’une bonne bière. Lorsque je pissais, il m’est arrivé de me venir à l’esprit l’idée d’écrire ce livre.[1]

J’ai ouvert les yeux… Le fragment témoigne de la connaissance de Borges dans les milieux monacaux. Borgnes avait tracé (en quelques lignes) une opposition entre la veille et le sommeil, entre l’œuvre et l’absence de l’œuvre, à savoir le rêve. Justement sorti du sommeil, le Saint commence l’écriture du livre du monde. Il serait intéressant de savoir si l’auteur aurait également écrit un livre au sujet du rêve.

What the ffffff... Expression impossible à traduire. Gregory Ivor[2] croit qu’il s’agit d’une expression étrusque par laquelle les clercs d’antan accueillaient le jour. Je m’en méfie.

Radio. Notion complexe, du moins dans ce passage. En latin, le verbe « radio » signifie « briller », indice du registre diurne où s’inscrit (et peut-être s’écrit) le livre ; mais le même mot pourrait être une forme oblique du nom latin « radius », qui signifie « rayon » ou « verge ». Guillaume Apollinaire[3] propose la leçon « verge » et met la notion en relation avec l’expression « what the fuck ». Enfin, ce même « radio » pourrait être une corruptelle de l’une des formes du mot latin « radix » (« racine ») ; en l’occurrence, il serait question soit d’une racine du texte[4], soit de Racine.

Me suis rendormi. Témoignage de l’hésitation devant l’é/Ecriture.

J’ai juré. Vraisemblablement, l’accomplissement d’un rituel de chaque matin.

Une épaisse écume. Cette écume, par sa brillance, appartient au registre diurne, où s’écrit le livre[5].

L’idée d’écrire ce livre. Plusieurs exégètes modernes, dont Héphaistion, ont estimé que ce passage s’oppose d’une façon patente aux prétentions des esthètes qui visent à reconstituer les conditions de la genèse d’une œuvre en termes d’inspiration. Voir le livre de S. Saint Sens[6], qui fait l’état de la question.


[1] Chez Philon d’Alexandrie, Questions sur la « Genèse », II, 5 (p. 84 F. Petit).

[2] « Le rôle de « what the fuck » dans la Genèse », R.E.M., II, 1978, pp. 214-228.

[3] Onze mille et une verges, traduction de l’arabe par Richard Burton, Port Arthur, Eatit & All Press, 1913, pp. 53-69.

[4] Cf. Averoës, Tahafut al Tahafut, traduction de l’arabe par Jacques Derrida, Freiburg, Zerstreuung und Destruktions Verlag, 1927, p. 183.

[5] Cf. Boris Vian, L’écume des jours, Nouvelle Orléans, Johnny Fémoimal et Co. Editeurs, 1954, pp. 26-34.

[6] La marche funèbre de l’esthétique, Yaoundé, Librairie des Nouveaux Poètes Sensibles, 2002, pp. 168-325.