mercredi 21 mars 2007

Lire en mangeant

4. Soudain , j’ai commencé à manger. En mangeant, je lisais – mais pourquoi diable emploie-je l’imparfait ? Tandis que j’ai mangé, j’ai lu quelques pages de Henn Mill. J’ai été amusé de le voir dessiner un « foutu cheval » et j’y ai eu quelques réflexions très écorceuses.[1]


Soudain.
Terme privilégié du lexique de l’ouvrage. Il s’agit peut-être d’une allusion à Michel Foucault[2], qui écrit : « Soudain, je sens toute ma bizarrerie. »

Mais pourquoi diable emploie-je l’imparfait ? Allusion à un passage d’Umberto Echo[3], qui fait un très bel éloge de l’imparfait. En refusant l’emploi de l’imparfait, le Saint le remplace par le passé composé – oxymoron sinistre et non aristotélique.

Henn Mill. Personnage imaginaire imaginé par l’auteur. Il s’agit assurément d’un calambour, car le rapprochement « pouliche – moulin » est inconcevable (les pouliches étant fort allergiques à la farine glissée dans leurs narines).

Réflexions très écorceuses. C’est-à-dire qui tient à l’écorce. Il est possible que la référence soit l’écorce cérébrale, mais il est plus probable qu’on ait affaire à une allusion à la doctrine épicurienne de la réflexion : la réflexion d’un corps serait matérielle, constituée d’atomes détachés de l’écorce des corps. L’intérêt de cette doctrine est qu’elle rend trivial le grand écart entre le sujet et l’objet, et j’ai des bonnes raisons à croire que le Saint y était sensible. D’autre part, il est possible qu’il ne s’agisse que d’une traduction ad litteram du roumain. Mais, si c’est le cas, ce n’est qu’une traduction partielle, car le Saint ne réussit pas à opérer le passage d’un schéma conceptuel à un autre[4].



[1] Chez Xénophon, Memorabilia, 28.

[2] « Réponse à une question », Esprit, 37, mai 1968, pp. 850-874.

[3] Six Promenades dans le Bois de Boulogne, Trad. roumaine, Tomis, Editions du Pont Noir, 1995, p. 26.

[4] Cf. Willard van Orman Quine, Le mot et la chose, trad. J. Dopp et P. Gochet, Paris, Flammarion, 1977.