dimanche 14 janvier 2007

De la façon dont j’ai cessé d’être un ange

Quand je me suis réveillé, j’étais un ange. J’avais les yeux fermés et ne le savais pas encore. C’était bon de serrer contre ma poitrine un bout de l’oreiller. Je me soupçonne d’avoir souri. U coin de ma bouche, ça coulait un fil de salive âcre, mouillant la taie de l’oreiller. J’avais les yeux fermés et c’était bon.
Après un certain temps je me suis ennuyé, mais je ne pouvais rien faire, le fil de salive semblait couler à l’éternité. « Il va mouiller tout l’oreiller », j’ai pensé, et c’a été ma première pensée. Ensuite le flux a cessé. Le fil s’est allongé, est devenu plus fin et s’est rompu ; l’un des buts s’est écrasé contre l’oreiller mouillé, et l’autre m’a giflé les lèvres. J’avais soif et j’ai léché la goûte âcre. Il faisait silence.
Quand je fus suffisamment ennuyé, j’ai décidé de tourner sur le dos. La douleur m’a réjoui, la soif seule ne pouvait plus satisfaire mon besoin de sensations. De moi-même. Une odeur amère, de pourriture, trouvait sa voie vers mes narines. On était en novembre et on brûlait des feuilles mortes. Je mangeais des amandes.
J’ai ressayé de tourner sur le dos et les pas de la douleur ont hésité. « Je vais ouvrir les yeux », je me suis dit, et j’ai ouvert les yeux. Tu n’étais pas là. Il y avait en revanche une tache humide de salive. Et un rayon de lumière qui vacillait sur la taie de l’oreiller. J’ai souri, plus tolérant que jamais.
Une obscurité verdâtre se mit à flotter dans la chambre. Elle avait tout englouti, sauf le rayon de lumière pointant mon oreiller. J’ai eu envie de baiser le rayon, mais j’ai rien senti, ni même le tissu sale. J’ai tourné de nouveau vers l’obscurité. Il y avait le corps de Jésus, qui brillait couvert d’étincelles vertes. « Silence », j’ai pensé, et le silence était tintant. J’ai continué à regarder l’obscurité verdâtre, jusqu’à l’apparition de l’archange Michel et de Marie Madeleine. Satisfait, j’ai fermé les yeux. Ça sentait le feu de sapin, à cause de l’archange peut-être. Et, d’une odeur plus vague, ça sentait les myosotis.
Quand j’ai rouvert les yeux, les deux étaient toujours là. Leur regard était vide. Dans le vide il y avait du silence et ses pousses vigoureuses s’accrochèrent de l’obscurité. Comme un cep de vigne, le silence. L’archange en a vendangé une grappe et l’a écrasée contre ses lèvres, sans les ouvrir. Des grandes goûtes, comme des larmes, se mirent à ruisseler sur son menton et tachetèrent son habit blanc. Les taches se dilataient, en noircissant au centre. Il m’a paru que Marie Madeleine a souri. Sans adresse.
Le tintement du silence se brisa en un frémissement. Le rayon de lumière avait remué sa pointe, la mettant sur mon front. J’ai eu le même sourire tolérant.
L’archange rompit une autre grappe. Il n’en garda qu’un raisin. Son blanc bourré brillait d’étincelles vertes. Il mit le raisin entre ses lèvres, le saisit de ses dents et le perça. Ses pupilles se sont soudain dilatées. Il est resté immobile. Ensuite il a gémi satisfait et a remué sa tête. Il avait aimé.
Marie Madeleine tourna ses yeux et sourire vers moi. Ses mains blanches, comme des ailes, se posèrent sur sa poitrine. Ce n’est qu’à cet instant qu’elle commença à respirer. Elle remplissait ses poumons de la senteur amère de pourriture et de feu de sapin. Ses mains blanches pénétrèrent sous sa robe et sortirent ses seins. Le sein gauche, un peu plus grand que l’autre , se débattait paresseux et blanc. Elle s’est approchée, et ses doigts se sont entortillés entre mes tresses. Elle a entraîné doucement ma bouche vers ses tétins, qui étaient deux raisins blancs et oblongs. J’ai cru l’avoir entendue gémir. J’ai cru seulement. A tour de rôle, j’ai saisi de mes dents ses tétins et les ai percés. J’ai gémi satisfait et remué ma tête. J’avis aimé.
Marie Madeleine reprit sa place à côté de l’archange. « Lève-toi », a-t-il dit, et c’est positivement ce que j’ai fait.
J’ai senti alors que j’avais des ailes. J’aurais voulu les mettre à l’essai, les tâter, les faire frémir, mais la tristesse sécrétée par ses yeux (à elle) m’en a empêché.
L’obscurité ruissela en une couleur de griotte. L’épée en flammes de l’archange s’éteignit après un vacillement. Les deux se sont élevés, et leur place fut gagnée par la paix. Je suis resté immobile, jusqu’à sentir des fourmis monter de mes jambes. J’ai souri résigné, me suis rallongé sur le matelas et écrasé mes ailes. Ça sentait les griottes et les feuilles mortes et brûlées. Et les myosotis. J’ai gardé mes yeux fermés, j’ai écouté le silence frémissant et c’était bon. Par la suite il n’y a eu que la douleur.