dimanche 14 janvier 2007

La défense ultime du dualisme corps/esprit

A une époque aussi reculée que celle de la rédaction de la Métaphysique d’Aristote, les gens avaient des corps et des esprits. Ils étaient heureux d’en avoir. Ils regardaient les éphèbes luttant au gymnase, faisaient la guerre, buvaient du vin et ne se souciaient guère de ce qu’ils étaient.
Car, pourrait dire un moniste, qui étaient-ils, ceux qui avaient des corps et des esprits ? Qu’est-ce que c’était que cette entité qui avait des telles possessions ? Une société anonyme, peut-être, et il sourirait avec malice.
C’est peut-être que ces sociétés anonymes étaient des esprits qui avaient des corps (par exemple pour s’en servir, pour en jouir, pour avoir que châtier).
Mais, le même moniste malicieux pourrait-il dire, que sont de fait ces esprits ? Où sont-ils ? Comment peuvent-ils remuer de quelque façon (pourvu qu’ils n’ont pas un lieu qui soit le leur) et de faire subir aux corps un tas de choses (pourvu qu’ils sont immatériels) ? Et, en fin de compte, quelle est la nature des relations qui doivent s’établir entre les corps et les esprits ?
Descartes, qui en a longuement traité, ne pourrait point nous aider.
Depuis l’attaque furieuse de Peirce et la parution d’un livre de Gilbert Ryle, les philosophes ont convenu à rejeter la doctrine du « fantôme dans la machine » et à être monistes.
J’avoue avoir été le moniste le plus radical. Je n’avais pas des états d’âme. Ne désirais rien. Ne croyais, ne me fiais, n’aimais, n’enviais pas. Rien. Rien du tout. Si je me sentais jaloux, je savais qu’il y a avait eu un stimulus qui avait provoqué une excitation du centre nerveux M 12 f de la région pariétale droite. Si je sentais l’envie de baiser une étudiante de la première année de DEUG, je savais que plusieurs stimuli ont excité l’ensemble de mon paléo cortex (et pas seulement). Et je pourrais continuer à désir avec les exemples.
Mais, de façon imprévue, j’ai dû abandonner cette conception. C’était la semaine passée. Une femme venait de sortir de chez moi et j’avais une attitude contemplative. Ça m’arrive des fois. Je méditais à la nature de l’Univers. J’ai été saisi par la dualité de toutes les choses, qui sont à la fois matière et énergie. Si tout ce qu’y a dans l’Univers est soumis à des lois, si tout ce qu’y a est ordonné, si tout ce qu’y a est organisé selon une symétrie, je dois avoir une nature duelle moi-même. Je dois donc être à la fois corps et esprit.
Stupéfait, je me suis posé la question ultime : qui suis-je ? D’autres, plus avisés que moi, s’étaient posés la même question. Sans résultat notable. Mais j’étais dans une disposition contemplative et j’ai risqué donc d’y chercher une réponse.
Qui suis-je donc ? La matière et l’énergie ne présentent pas des idiosyncrasies. Entre moi et une chaise il n’y a aucune différence. Ni entre moi et les framboises glacées ou la femme qui venait de sortir de chez moi. Y a pas de différence entre nos composants fondamentaux. « Je ne suis pas », j’ai dit éperdument. C’était la vérité, mais c’était également une vérité contredisant toutes mes intuitions. « Mes intuitions ». Quelle était donc la différence entre « mes intuitions » et celles d’un thé à la menthe ?
J’étais bouche bée. Les fondements matérialistes qui avaient soutenu mes propos s’effondraient. J’étais pas de la matière. J’étais une manière particulière d’organisation de cette matière. La seule différence entre moi et Paris Hilton ou entre moi et la couronne royale de l’Angleterre est ma structure. Immatérielle, sans lieu et toutefois partout. Rationnelle, tout comme l’âme cartésienne. J’étais une structure qui avait un corps et un corps ayant une structure.
C’est ainsi que je suis devenu dualiste.

[PS. Je fais appel à tous les philosophes d’essayer de réfuter cette théorie, que je trouve très inconfortable.]