dimanche 14 janvier 2007

La vérité sur les sciences

Il y avait dans mon séminaire, il y a deux ans, un étudiant en thèse que je détestait profondément. (Ça ne se dit pas d’habitude dans les milieux scientifiques, mais tout le monde déteste quelqu’un, et pas nécessaire le même). Je détestais le mec dont je parlais surtout pour ses airs de « Monsieur Saistout » et pour les banalités qu’il débitait inlassablement. Il ne peut pas y avoir de pire. Un jour, pendent le séminaire, il dit
- Bah, les enquêtes psychologiques, c’est l’éternel étudiant en DEUG.
C’était vrai, mais c’était aussi la chose la plus banale depuis l’invention du « bonjour ». Et, qui plus est, le p’tit gars voulait tirer profit de cette banalité. Il voulait me convaincre qu’il était de la famille, qu’il n’était pas dupe et ne se fiait pas à des recherches qui se contentaient d’une pareille base empirique. Mais il se trouve que j’avais déjà entendu la même phrase – mot à mot je veux dire, lorsqu’un honorable historien de la psychologie répondait à des questions après une conférence. C’est ça ce que je voulais dire. [Parenthèse. J’ai remarqué que les scientifiques ont toujours de propos très généraux et même osés après les conférences, quand l’atmosphère est plus relâchée et les applaudissements se sont éteints, tandis que dans le texte qu’ils lisent ils affèrent la modestie la plus humble. Je ferme la parenthèse.]
C’est ça ce que je volais dire. Lorsqu’on est jeune chercheur, on reproduit les énoncés qu’on a entendus chez ses parrains. Le plus souvent, il s’agit des banalités les plus sinistres les préceptes fondamentaux de la science normale, comme le dirait Kuhn. Les scientifiques installés entendent les discours du jeune t se disent
- Tiens, il n’est pas si bête que ça, on peut embaucher dans notre centre / labo.
Une fois qu’il se trouve en poste, le jeune devient le nègre d’un chercheur plus ou moins important, mais il fait toujours attention à sa carrière. Il donne des conférences, des séminaires, des cartes de visite (il en a toujours) et des leçons sur ce que veut dire la science. Dans ce qui parle ou écrit, il s’entête d’appliquer les principes et les méthodes de la science normale sur ses petites recherches empiriques. Il a son petit sujet, dont il est très jaloux ; par ailleurs, ce p’tit sujet, c’est tout ce qu’il a.
Les années passent. Le jeune (j’étais prête à écrire « le bâtard ») vieillit. Sort des livres. Publie des articles dans des revues importantes (il les y case grâce au nom de son ancien directeur de thèse ou a celui du centre / labo où il va au boulot le matin, ou bien grâce à ses notes en bas de page, dont le rôle est de cerner les amis et les ennemies de l’auteur). Son ancien p’tit sujet est devenu un thème important de la discipline. Mais lui, il est toujours le même. Il dit les mêmes banalités qu’à l’époque où il n’était qu’un étudiant en 3e cycle. Des fois, il invente ses propres banalités (noblesse oblige). Etant un chercheur important, ses paroles sont enveloppées d’une auréole d’autorité et de savoir profond. Les nouvelles banalités sont intégrées dans la science normale. Une autre histoire scientifique de succès.
Enfin, je voulais dire que la vérité sur les sciences est que le scientisme n’a rien à foutre avec la science.